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Sniffy : le gouvernement veut interdire cette poudre blanche vendue dans les tabacs, une « cochonnerie » qui reprend les codes de la cocaïne.


Il y a une semaine, un entrepreneur marseillais lançait en France « Sniffy », un produit énergisant légal qui reprend tous les codes de la prise de cocaïne


Capture écran le 25 mai 2024 du produit Sniffy vendu aussi sur le site internet de Sniffy France. (SNIFFYFRANCE)


Ça a la couleur et l’aspect de la cocaïne, ça se vend au gramme et ça se prend de la même manière, directement dans le pif à l’aide d’une paille (fournie).

Inspiré d’un produit similaire, déjà distribué en Suisse, en Allemagne et en Autriche, « Sniffy » est une sorte de cocktail de substances actives présenté comme « énergisant » et « festif ».

Et si le produit est légal en France, l’inévitable rapprochement de son mode d’administration avec celui de la coke pose question.

Sans le nommer, le produit conçu par Highbuy, un spécialiste marseillais du CBD, a été présenté sur M6, dans l’émission « La grande semaine ».

La séquence, postée sur Instagram, a suscité de nombreuses réactions.

Parfois ironiques, sur les légendes urbaines entourant le monde de l’audiovisuel, souvent choquées, face à cette « initiation à la coke ».

Et si le produit existe réellement, il n’est cependant pas si facile de s’en procurer. Aucun buraliste lillois n’en propose par exemple, et aucun n’en a d’ailleurs entendu parler.

Même le concepteur de Sniffy s’est étonné auprès de 20 Minutes que son produit ait pu être acheté dans un bureau de tabac à Paris.

« Ça peut choquer les gens »

Bref, le patron de Highbuy, qui préfère ne pas voir son nom cité, s’attendait à ce que le parallèle entre son produit et la cocaïne « vienne sur le tapis ».

A 20 Minutes, il reconnaît que « ça peut choquer les gens ».

Et s’il « peut comprendre » que « l’on puisse faire l’amalgame » sur le mode d’administration, il se défend de toute incitation.

« Une poudre blanche qu’on inhale par le nez ? Bien que cela puisse évoquer le plaisir interdit, c’est totalement conforme à la loi », était-il encore écrit sur le site web de Sniffy avant notre appel.

Une mention dont la seconde partie a été remplacée par une autre, plus soft : « Pas d’amalgame, Sniffy est légale. »

Parce que, légale, sa poudre blanche l’est en effet, dûment visée par les services de la DGCCRF nous confirme l’entrepreneur.

Présentée par ce dernier comme un « complément alimentaire », elle contient de l’arginine, de la caféine, de la créatine, de la citrulline, de la taurine, de la beta alanine et de la maltodextrine. Vérification faite, aucune de ces substances n’est interdite ni même considérée comme produit dopant. « Ce produit semble être un composé qui s’apparente aux poudres que peuvent utiliser les sportifs pour le culturisme, on retrouve beaucoup d’acides aminés et de composés musculaires », analyse Guillaume Grzych, biologiste médical en biochimie spécialisée au CHU de Lille.

« Banalisation » du mode d’administration de la coke

Selon lui, si aucun de ces composants n’est dangereux individuellement, « ce qui peut l’être ce sont les doses et les modes de consommations, qui peuvent entraîner des surdosages et avoir des conséquences sur le long terme ».

Le patron de Sniffy précise d’ailleurs lui-même qu’il ne faut pas dépasser une dose de deux grammes par jour.

Sur le mode d’administration, justement, le concepteur assume la recherche de « l’effet immédiat ».

En effet, le biologiste reconnaît que l’administration par voie nasale est « une voie qui va presque directement amener le produit dans la circulation sanguine ».

Mais il y voit aussi un « risque secondaire de type lésions ».

On s’en doute, si ce produit était présenté sous forme de boisson ou de suppositoire, il n’y aurait pas débat.

« Le problème, c’est qu’on a là une forme de banalisation d’un mode d’administration qui est principalement celui de la cocaïne dans l’imaginaire collectif », déplore Alain Morel, psychiatre spécialiste des addictions. Pour le médecin, ce n’est pas une question de légalité : « Autoriser cela me choque d’autant plus que les pouvoirs publics ont l’expérience de ce genre de produits incitatifs pour les jeunes, avec les cigarettes en chocolat ou les puffs. »

Le patron de Sniffy, lui, affirme que les jeunes ne sont pas sa cible.

Promettant qu’il ne cherchait pas le « buzz », il se félicite toutefois d’une visibilité inespérée.

Source : 20 minutes & mai 2024



Plus que les composants, c’est le mode d’administration de ce produit qui questionne les détracteurs de Sniffy.

« Il ne faut pas tourner autour du pot, c’est fait pour maintenir la confusion et donner le sentiment qu’on est en train de consommer de la cocaïne, d’en avoir les effets, sans que ce soit vraiment de la cocaïne », se révolte l’addictologue Amine Benyamina, président de la Fédération française d’addictologie, qui déplore le « cynisme » du fabricant.

«C’est scandaleux, sur le plan éthique et moral, de proposer une Red Bull ou une Gatorade sous la forme de poudre. »

L’association Addictions France s’inquiète aussi de « la banalisation de la cocaïne » et, « circonstance aggravante », des saveurs sucrées qui « attireront les plus jeunes ».

Si le geste interroge les spécialistes en addictologie et les politiques, il ne semble pas interpeller la sensibilité de l’entreprise marseillaise.

« Une poudre blanche qu’on inhale par le nez ? Pas d’amalgame, Sniffy est légale », ironise même la marque.

Quels peuvent être les effets indésirables ?

Sur son site, le fournisseur de Sniffy restreint la vente de son produit aux adultes et conseille aux consommateurs de consulter un professionnel de santé pour évaluer les risques.

Puis, il recommande « de commencer par de petites doses », « d’augmenter au fur et à mesure », de ne pas dépasser « la dose quotidienne recommandée », qu’il estime à 2 grammes par jour, soit l’équivalent de deux fioles, et d’éviter toute interaction avec de l’alcool ou des médicaments.

« Cette limitation de consommation ne repose sur rien de scientifique, c’est juste un moyen pour eux de se protéger sur le plan juridique, juge le professeur Benyamina.

En plus, ce produit ne s’achète pas en pharmacie ; un buraliste ne va pas vous expliquer la notice médicamenteuse et les limitations. »

Outre les surdosages, les effets indésirables de cette substance peuvent être similaires à ceux de la consommation de boissons énergisantes : douleurs thoraciques, hypertension et anxiété.

L’inhalation peut également infliger, selon le professeur Benyamina, « des microtraumatismes dans les narines, comme aux consommateurs de cocaïne, à cause de la paille ».

Le fournisseur alerte d’ailleurs sur le fait que « la prudence est de mise pour préserver la santé des muqueuses nasales ».

Comment peut-on légiférer sur ce produit ?

Le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention, Frédéric Valletoux, qui déclarait avoir découvert le produit « depuis quarante-huit heures », a annoncé sur Franceinfo, le 25 mai, qu’il allait rapidement étudier les moyens juridiques pour « interdire ce type de choses ».

Le député (Parti socialiste) de l’Essonne Jérôme Guedj a affirmé sur le réseau social X qu’il « travaillait depuis plusieurs semaines » sur une proposition de loi pour « interdire cette simili-coke ».

L’article L3421-4 du code de la santé publique, qui punit « la présentation sous un jour favorable de l’usage illicite de stupéfiants » (cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende) ou la « provocation à l’usage de substances présentées comme ayant les effets de substances ou plantes classées comme stupéfiants », pourrait être utilisé pour justifier la prohibition de ce produit énergisant.

Cependant, il paraît « compliqué, en l’état, d’interdire la vente de ce produit, assure Raphaële Tort-Bourgeois, avocate en droit pénal.

Le geste et la forme [liés à] cette substance s’apparentent à de la prise de stupéfiant, mais je ne vois pas comment cela pourrait être interdit, vu que les composants ne sont pas prohibés ».

« C’est le volet sanitaire et médical qui pourrait faire interdire ce produit, pas le côté pénal lié aux stupéfiants, selon Mme Tort-Bourgeois.

On pourrait demander à l’entreprise des précisions sur les précautions d’emploi comme sur les effets du produit qui dureraient vingt à trente minutes. Ça vient d’où ? »

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